Insomnie des petites heures,
autant France-Culture agace le jour à vouloir se couler dans un
modèle courant, autant ses rediffusions nocturnes sont des havres
grands ouverts où même la nostalgie n'est que le quai où on
embarque. Émission déjà commencée, c'est comme en accompagnant
animateur et invités dans une promenade spatio-temporelle où ils
évoquent entre autres Belleville et les Folles Buttes, puis le
groupe Octobre, que je comprends enfin que l'une des voix est celle
de Mouloudji, légèrement différente de celle de ses chansons. J'ai
éteint la lumière de la cuisine où j'étais descendu et ai été
captivé pendant au moins deux heures. J'apprendrai à la fin qu'il
s'agissait de 'son' Bon plaisir, émission diffusée pour la
1ère fois le 16 novembre 1991.
Je ne fais ici rien d'autre
que d'habitude, à savoir désigner ce qui me touche personnellement.
On pourrait parler d'une recherche de modèles, de modestie ou
d'orgueil, de paresse ou de manque de personnalité, et je veux bien
l'assumer. Je pense aujourd'hui qu'il y a effectivement chez moi
comme une sorte d'incertitude fondamentale, et que comme perdu je me
raccroche à tout ce que je reconnais, à tout ce qui fait sens, non
pas au sens profond, mais au sens basique du sens d'un mot que l'on
reconnaît parce que de notre langue, à des caractères superficiels
qui tout d'un coup font espérer ou croire qu'on est pas le seul et
unique exemplaire d'une espèce incertaine.
Cette nuit Mouloudji, et
j'ai bien conscience de tout ce qui diffère, insiste sur des choses
que ses interlocuteurs n'acceptent pas forcément, et que lui même
ne s'explique pas. Une carence dans l'enfance, et je ne pense pas aux
poncifs de la psychanalyse pour tous. Une peur qui l'a accompagné
pratiquement tout sa vie, 'non créative', précise-t-il, et les
succès n'y font rien, au contraire, et il en parle à soixante-sept
ans. L'écriture pour chercher à comprendre et tout aussi reconnue
comme traitement substitutif du suicide. Et juste avant la fin de
l'enregistrement, au moment où ceux qui l'estiment attendent visiblement qu'il conclue comme il faut ce qui a été comme une
rétrospective, qu'il y ajoute le point d'orgue attendu, cette scandaleuse idée :
"J'ai raté ma vie". Ce n'est que devant la réprobation
générale qu'il va s'efforcer pour finir de la gommer un peu.
Je retiens encore : "Je ne sais pas liquider".
Et certaines insomnies m'apparaissent arrangées.
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