Fermé le livre, et faute
d'article concernant Julien Sarrazin, on relit dans Wikipédia la
biographie d'Albertine. Celui qui la recueille évadée de prison y
est qualifié de « petit malfrat », de la même
façon qu'elle sera, elle, appelée « prostituée » dans
d'autres résumés. Raccourcis : accessoirement humains,
anecdotiquement écrivains.
Auteur
ici, Julien Sarrazin a au moins deux mérites. Tout d'abord, s'il
explique de quelle façon son chemin s'est très tôt écarté du
macadam des « gens honnêtes » (on pense à Brassens), ce n'est pas
dans le but de se justifier, de se faire des années après l'avocat
de sa propre cause. Ensuite, il ne s'agit pas non plus pour lui, et
encore moins, d'accrocher une remorque littéraire à la notoriété temporaire de celle qui l'a un jour et malgré elle définitivement
quitté.
Il
parvient simplement (et la simplicité qui m'échappe si souvent ne
peut provenir que d'un vrai travail ou d'une tournure profonde) à
nous conduire dans ses propres traces, sans jamais y mêler quoique
ce soit de l'aventure à deux dont la contrescarpe d'une forteresse
pénitentiaire a marqué le début – sauf à en rappeler en fin la
conclusion tragique.
De
son enfance, il tient à nous faire comprendre, sans le formuler
expressément, qu'elle n'a pas été marquée par un manque d'amour,
mais que cet amour même prenait ou côtoyait parfois des formes
violentes, tandis que manque et carences tenaient crûment au niveau
matériel. Il nous montre aussi comment la guerre finissante a pu
être dans son cas propice à brouiller les frontières légales.
Certes non exempt à l'occasion de la violence basique héritée, son
parcours de délinquant tient beaucoup plus des aventures des Pieds
Nickelés que du crime de haute volée et il a très probablement
plus payé que volé : il serait intéressant d'étudier son
bilan délits et peines à la lumière des jurisprudences actuelles.
Qui
plus est, si le quotidien décrit ou reflété ne coïncide en rien
avec ce que voudrait dire l'expression « trente glorieuses »
appliquée à cette époque, il se rapproche bel et bien de ce qui a pu nous marquer aussi. Du formica et des téléviseurs, des autos rutilantes et
de l'eau chaude pour tous que tout le monde n'avait pas. Époque où
le soleil n'apparaissait à d'aucuns qu'aux failles des enfermements,
où la simple fugue d'un(e) mineur(e) suffisait à l'y conduire,
quand ce n'était pas pour d'autres le cadre admis des formations
sérieuses. Seuls des écrivains semblent avoir ainsi rendu
ou du moins pris en compte quelque chose de la froideur et de la
rudesse de ces années d'alors*,
où auraient fait tache les laissés pour compte et les tombés du
train.
Lire
et écrire en ont fait surnager certains. Julien et son
frère enfants vont malgré tout à l'école, y sont bons
élèves, et la famille ne va pas contre. Albertine en maison de
redressement obtient la mention bien à la première partie du
baccalauréat. Incarcérée, elle le termine en prison. Emprisonné ailleurs, Julien travaille à l'imprimerie dont est doté son établissement pénitencier. Qu'il
en profite pour démarrer à cet endroit le tunnel d'une évasion ratée
est à la fois logique et symbolique.
Leur
rencontre n'aura été que le début d'une corde dont éloignements
et rapprochements ont tressé les fils et leurs livres comme la
lumière d'une mèche trop brièvement incandescente. Tout buté
qu'il était, la nuit et la fureur absurde auront raison de ce couple
historiquement tragique et le silence une fois retombé, c'est de
Victor Hugo que ces assassinés-nés recevront ici les derniers
honneurs, à jamais médaillés misérables.
* Entre autres, et chacun à leur façon, Annie Ernaux, Patrick Modiano, Georges Pérec sapent bien la vision économique consacrée.
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