© 2001 Joseph Pearce en J.M. Meulenhof bv, Amsterdam
Foto Arthur Tress, Jongen met eend
© Éditions Gallimard 1997
© Éditions Gallimard 1997
Des mois ayant passé,
débloquer l'affichage inerte de ces deux couvertures de livres,
gribouiller quelques mots par-dessus ce 'j'aime' bêtement binaire,
et vouloir du même coup remettre en marche la machine à écrire.
Les notes prises durant l'été n'ont rien donné encore, et de penser
au temps des plantes ne console pas vraiment.
À l'origine, encore une
fois ce goût que j'ai pour le hasard et ses coïncidences, plaisir à
bon marché qui en vaut bien d'autres. Quoique se raréfiant, mes
lectures à la fois superposées et à vitesses diverses m'avaient
fait fermer à peu près simultanément La honte de Annie
Ernaux et Koloniale waren de Joseph Pearce.
De part et d'autre :
une œuvre autobiographique tournée vers l'enfance, et plus
précisément vers cette période où on en pressent plus ou moins sa
fin ; un narrateur qui parle à la 1ère personne ; des
parents commerçants. Des deux côtés une petite ville dont on
n'écrit pas le nom mais qui fait partie intégrante des souvenirs
rapportés – des années et des livres plus tard les auteurs y
retourneront s'y montrer un peu.
Occasion de passer aux
différences. Vues d'ici, Yvetot la normande se situe à 220 km au
sud-est et la flamande Vilvoorde à 200 km à l'est. Un livre est en
français, l'autre en néerlandais. D'un côté un écrivain femme de
l'autre un homme, revisitant un 'je' fille et un 'ik' garçon.
Laquelle différence m'importe peu en l'occurrence tant l'angle
adopté par Annie Ernaux ne me montre pas un vécu féminin différent
du masculin que j'ai connu ou me place dans les environs connus d'une
autre différenciation.
Ses parents tiennent sans
doute un petit 'Café-épicerie', tandis que ceux de 'Mathieu'
possèdent un commerce d'épicerie de gros, plus précisément
désigné par l'expression du titre, qui se traduit en français par
'Denrées coloniales'.
Sauf à produire une analyse
rigoureuse dont je n'ai jamais été capable, parler ici de ma
lecture exige que je m'y implique – on pourra même me reprocher
d'en profiter pour tirer la couverture à moi, moi qui suis entre
deux. Je peux pour commencer évoquer la rencontre de chacun des
auteurs.
La première :
enseignant de français en collège*, j'utilise le manuel des élèves,
et comme souvent un seul extrait suffit à me toucher d'une façon
indélébile : c'est ce jour-là un passage de Ce qu'ils disent ou rien.
Comme Marcel Aymé à cause des Contes du chat perché ou Jack
London à cause de Croc-Blanc, Annie Ernaux était rentrée
dans ma bibliothèque mentale. Autre histoire que la réelle :
le manuel rendu à l'établissement ou donné à Emmaüs, je n'avais
pas retenu le titre du livre en question, et il m'a fallu en lire
plusieurs autres avant de retrouver le passage qui m'avait marqué –
et de reperdre l'ouvrage, l'ayant emmené pour passer le temps dans
une salle d'attente... J'ai surtout perdu le mot que la narratrice
utilise à un moment donné pour exprimer ce qu'elle se sentait être
dans le regard des autres élèves : affaire au long cours.
Le second apparaît sur une
autre route, celle de mes emballements linguistiques, plus ou moins
sérieux mais bien réels. Malgré les déperditions, celles
inhérentes au monde étranger et celles dues à un niveau modeste de
compréhension, la lecture d'un livre en néerlandais me fait
progresser dans la connaissance de la langue et en même temps
découvrir un domaine littéraire assez peu traduit. Participante
flamande au café polyglotte local, une de ses proches m'a parlé de
Joseph Pearce et ce premier livre lu m'a donné envie de continuer.
J'y ai surtout apprécié son évocation d'un temps et d'une vie locale non sans points communs
avec celle d'ici, mais ce que je me risque à dire de son écriture
doit être relativisé. Je l'ai cependant trouvée sensible, apte à
rendre les sentiments, les rapports entre les gens, aussi bien que le
monde extérieur. L'image produite dans son ensemble est celle d'un
certain bonheur, tant dans l'époque que dans la famille et dans le
lieu.
Ce n'est pas pour une question de langue que le titre du livre français ne m'est pas étranger. Tout comme la peur, la honte ne m'a
jamais faussé compagnie. Le monde de Annie
Ernaux m'est apparu
familier dès la première page lue. Mais est-ce seulement question
de famille, s'il faut jouer sur les mots, ou de personnalité, ou de
point de vue ? Je ne crois pas. Plutôt la question du monde. De l'écriture de Annie Ernaux, on a dit qu'elle était blanche, elle même la dit
plate. À la lecture de L'occupation, m'étant venu à
l'esprit le mot 'crue', j'ai ensuite pensé qu'il ne s'y appliquait
pas au sens figuré habituel, mais bien pour caractériser sa façon
d'écrire : sans apprêt, sans cuisine sinon celle qui coupe et épluche, qui n'ajoute ni épice ni sauce. Épurée alors ?
Plutôt le contraire, elle ne conserve que les cailloux de la soupe
servie.
Où je me retrouve, non pas
par mes zigzags alambiqués, mais parce que faute de mieux il arrive
qu'on en vienne à se satisfaire d'une image du monde que l'on croit
reconnaître, à savoir sa misère, et faute de mieux à s'identifier à
un non-héros ou à une non-héroïne. Si je m'efface, il me vient la
métaphore d'une autopsie essentielle.
Ici rapprocher les bords,
refermer la transe, dire pourquoi les deux.
Joseph Pearce ne bouscule
pas la forme mais le choix de l'outil conventionnel lui permettra
ailleurs d'atteindre à l'ombre qui ne se discerne qu'à peine dans
Koloniale waren, et le
scalpel de Annie Ernaux n'est pas voué au désespoir. Tous les deux
font preuve de mesure et d'économie.
* Je radote : déjà esquissé ici
(Texte ajouté le 16.2.14)
* Je radote : déjà esquissé ici
(Texte ajouté le 16.2.14)
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