Télévisions

I

J'ai commencé il y a quelques jours la lecture d'un livre acheté il y a deux ans, après en avoir entendu dire du bien par quelqu'un qui le lisait. Ce qui n'est pas pour moi une raison suffisante : l'image de sa couverture allait entrer dans une de mes collections d'images, malgré son manque d'ancienneté - le thème m'intéresse surtout jusqu'aux années soixante-dix. Si je sais la date de son achat, c'est que j'y avais laissé le ticket de caisse et que j'ai été amené à le lire alors qu'il ne me servait que de marque-page. En effet, avant-hier au soir, croyant à tort qu'il avait été déplacé, j'ai constaté, arrivé au milieu de l'ouvrage, que je retrouvai là des pages déjà lues, suite à une erreur de fabrication : elles avaient été brochées en double à la place de celles de la fin. Hier au furet, on m'a d'abord dit que les échanges ne se faisaient que dans les dix jours suivant l'achat, puis on a quand même accepté de le remplacer. Le prix n'avait pas changé.

Curieusement, hier soir, j'ai terminé ce livre en sautant des mots et même des passages, ce que je fais rarement. Est-ce le fait que l'incident avait ainsi été réglé, je ne crois pas. Depuis le début je me forçais à lire quelque chose qui me captait sans me plaire. Et quand même arrivé à la fin, il était évident qu'il ne pouvait pas rejoindre les livres que je garde – du moins pour leur texte. Car je me suis alors rappelé qu'il allait pouvoir intégrer une de mes collections, que je constitue selon un critère arbitraire où mes goûts n'interviennent qu'accessoirement. En l'occurrence il s'agit d'une démarche comparable à celle du narrateur de ce livre : je rassemble des images imprimées du téléviseur ou de son écran, sans aucune nostalgie d'un contenu que je n'ai d'ailleurs que très peu connu aux époques choisies. Avec sans doute le plaisir un peu sadique de voir et d'avoir la machine bavarde réduite au silence. Et pour une fois c'est aussi un livre qu'en quelque sorte j'éteins.

II

Réveillé comme d'habitude aux petites heures du jour, j'ai allumé machinalement le robinet lumineux, puis comme souvent l'ai éteint après n'avoir rien trouvé qui vaille la peine puis imitant encore le personnage du livre pris le télérama, non pas pour m'informer sur les programmes, mais parce que cela fait des années que je le lis sans réfléchir comme un périodique quelconque, indépendamment de son objectif télé. Or voilà qu'il me semble plus lourd qu'à l'ordinaire – je dois dire que depuis un moment je le feuillette de plus en plus distraitement – et que tournant les pages une à une je me mets à considérer avec effroi un objet qui me dérange. Je réalise que pour y lire une page je suis pratiquement obligé d'en supporter une autre, à savoir publicitaire, mais d'autant plus insupportable qu'elle ressemble à celle que je lis : mêmes procédés graphiques, mises en page en harmonie. Exactement comme si je m'apprêtais à ramasser dans un bois une feuille d'arbre ou de plante et que je m'apercevais tout à coup que la feuille à côté est en fait un insecte qui la mime et s'apprête à m'attaquer. Fini le temps des périodiques qui cantonnaient les réclames au début et à la fin, si bien qu'on pouvait plus ou moins les sauter. Je ne me réabonnerai plus.

C'est comme ici. Vous avez bloqué les fenêtres intempestives? Qu'à cela ne tienne. La bouillie immonde remonte de partout, ça gargouille et clignote, ça vous met des petits mots et ça vous crache à la figure, ça vous tutoie et ça se moque. Les ordinateurs démultiplient la puissance de nuisance, sans qu'elle abandonne pour autant les autres supports.

Je ne crois pas que la publicité illimitée nous apporte quoi que ce soit de bon. C'est une sorte de cancer.