... et qu'en plus on pense avoir été plus ou moins
détruit par la religion catholique, ce n'est pas sans malaise, sans
sentiment d'incohérence, qu'on lit quelqu'un pour qui « Dieu »,
du moins à la surface, ne fait pas question. Et qui plus est quand
on se trouve ça et là séduit par ce texte, comme, il y a des
années, par Principes et préceptes du retour à l'évidence.
Il faut quand même reconnaître que c'est ici par ce qui serait un
détournement, voire une perversion, de la lecture des textes
fondateurs. Peut-être la seule possible, la seule valable. Ni
l'auteur, ni l'abbé Pierre n'ont été des saints, s'étant
confrontés, autant au dehors qu'en eux-mêmes avec l'humanité. Ce
dernier mot, parce qu'on n'en trouve pas d'autre, à prendre au degré
zéro.
« Pour
éviter la fin du monde (1973) est la relation de huit entretiens de
Lanza del Vasto avec des Canadiens au lac Saint-Côme, à la lisière
du Grand Nord. » (Le L. de P. p.1)
Extrait
du Cinquième entretien « Des quatre fléaux et de leur cause :
le péché », p. 110-111 :
Comment
se fait-il que, subitement, comme par un coup de baguette magique, la
nature devienne pur Adam des pierres et des épines ? - par
l'effet de la science du bien et du mal ! Cette science commence
par la science du plaisir et de la douleur, un grand travail de
l'esprit que ne font pas ces imbéciles d'animaux ! Un animal
cherche son plaisir, bien entendu, mais il cherche surtout le bien
qui provoque ce plaisir ; il évite la blessure qui provoque le
déplaisir. Mais nous, nous avons trouvé le moyen de multiplier les
plaisirs, même quand ils nous font du mal.
D'où
vient le plaisir ? Il vient de la satisfaction des besoins. Mais
quand le besoin est satisfait, le plaisir cesse. Or, c'est décevant !
Nous allons donc retarder ça, faire de merveilleuses spéculations
là-dessus. Évidemment, manger de l'herbe, c'est un plaisir limité.
Nous, munis de la science du bien et du mal, nous allons allumer un
feu, faire cuire, y mettre du sel et un peu de poivre, puis un peu de
sauce : ce sera un chef-d’œuvre de la connaissance du bien et
du mal. Nous ferons cela pendant des générations et des
générations, jusqu'à ce que l'herbe nous sera tout à fait
nauséeuse et même nuisible. Nous aurons besoin de fruits qui
viennent de loin, en toute saison. Alentour, on ne voit que des
pierres, que des cailloux : on a l'habitude de si bien manger
que tout ce qu'on trouve autour de soi devient vraiment dégoûtant,
à vous en donner des nausées authentiques et sincères !
Alors
il faut que tu travailles. Tu te mets à bêcher la terre comme ce
pauvre Adam ou tu la fais bêcher par quelqu'un d'autre, le plus loin
possible de toi car tu n'aimes pas voir quelqu'un qui sue – c'est
désagréable et tu es délicat. Toi-même, tu vas te garder de suer.
Tu vas inventer toutes sortes d'occupations pour ne pas travailler.
Car un des grands axiomes de la science du bien et du mal, c'est
qu'il est plus facile de tirer son bien du prochain au moyen d'une
arme que de le tirer de la terre avec un outil. L'outil, tu vas le
donner à celui que tu as subjugué pare les armes – les armes de
fer ou les armes légales, ou encore les armes économiques. Tu en as
subjugué un certain nombre : tu les mets au travail, tu leur
donnes avec grandeur une petite part de l'argent qu'ils te font
gagner. C'est très intelligent.
Vous
voyez comme il est beau d'être instruit et comme la science du bien
et du mal fait des progrès tous les jours.
Lanza del Vasto
Pour éviter la fin du monde
Le Livre de Poche 1979