La crèche

Sacrifice païen aux circonstances que d'en écrire ici, mais avoir choisi La crèche* comme livre de chevet ou de salle d'attente en période d'Avent avait été soit inconscience soit pure coïncidence. L'auteur étant Albertine Sarrazin, le titre, qui selon l'usage est aussi celui de la première nouvelle de ce recueil, évoquait d'abord soit les logis de fortune de la vagabonde, soit les prisons de la jeune délinquante. Que l'héroïne de cette fiction soit une jeune femme emprisonnée ne surprend guère, tant l'écriture ressemble à celle de l'œuvre ouvertement autobiographique. On n'imagine même qu'un alter ego. Plus étonnant l'objet du récit, la crèche du titre, qu'il faut bien prendre au sens le plus courant, celui répandu par la religion catholique.

C'est le soir du 24 décembre et la narratrice raconte pourquoi elle s'en fabrique une, et comment elle s'y prend.

J'ai toujours fait ma crèche – Du moins je n'ai pas l'impression d'avoir connu des Noëls où la crèche des églises, ou celle de la maison, suffisait à me réjouir (p. 7).

Je « passe mon temps », comme on dit, à l'atelier et à la cour de promenade, mais c'est seulement le soir, lorsque la surveillante me boucle dans ma cellote jusqu'au lendemain sept heures, que je commence à me sentir bien (p. 7-8).

Cette crèche-ci, je la ferai avec les moyens du bord (p. 12)

Boite en carton, Nescafé, papier d'emballage, colle de riz, bout de bois d'allumage, bout de savon, rond d'aluminium des boîtes de Ricoré. La voilà terminée :

Je souffle sur les subtils copeaux pour que rien ne souille le parquet de ma crèche (p. 23).

On a un instant pensé à la métaphore, à un passage à la dimension supérieure, mais non, c'est bien de l'étable miniature fabriquée qu'il s'agit.

Cependant, plus haut, juste avant la séance de travail manuel, c'est bien la détenue qui se décrivait elle-même:

j'ai même fait mon ménage pour demain. Une vraie pensionnaire... mon petit tas de poussières attend sagement, dans l'encoignure de la porte, la pelle de la fille de service (p. 11-12).

La cellule ou la crèche comme lieux où venir au monde.

De la foi ou d'un dieu un rite est la seule trace. Guère question pour l'activité humaine : le temps, les choses et les mots lui suffisent.


* Le Livre de Poche, 1975