Faut pas rêver

La nuit dernière comme souvent, réveil vers une heure du matin. Je sais que je ne me rendormirai pas tout de suite. Soit je lis soit je descends et allume la télé. Le soir je n’essaie même pas, tellement zapper me désespère mais à ces heures-là de la nuit il arrive que je n’aie pas besoin de faire toutes les chaînes pour être pris par une image parlante.
A la radio, avant les paroles, c’est la voix qui m’arrête – je veux dire me retient. Dans un livre le début : comment c’est écrit – non la reconnaissance d’un style mais au contraire là aussi le mystère souvent simple d’une voix qui n’annonce rien d’autre que sa présence singulière. De même au cinéma, les premières images suffisent pour que je dise au réalisateur D’accord je reste. Le genre du film n’a pas beaucoup d’importance mais je dois sentir comme une densité ou une rugosité qui sont pour moi qui crains les histoires le minimum que j’espère. Quant à la télévision, j’aurais aimé pouvoir l’ouvrir un jour et tomber sur de la télévision, comme on dit du cinéma, mais on n’a pas vraiment permis que la chose advienne. Je vis dans une maison où la télévision fonctionne souvent le jour sans que je la regarde et je comprends toujours de quoi il y est question sans regarder l’écran. Peut-on appeler cela de la télévision ? Ça ne m’aurait peut-être pas déplu qu’un écran m’interpelle et me dise à sa façon d’écran Arrête. Vois. Au lieu de ça un bavardage ininterrompu qui projette la moindre des radios à un niveau supérieur - il leur arrive même, à elles, de montrer des images. Tout ce qu’on peut attendre du téléviseur c’est d’être parfois vecteur de quelque chose d’autre.
Cette nuit donc, à la télévision, c’était du cinéma, et donc comme expliqué ci-dessus, une image, une séquence qui me dit Regarde. C’était une jolie fille passant un casting et une image en noir et blanc et c’était magique sans qu’on sache démêler d’où cela venait : de l’actrice ou du réalisateur, de l’image ou des mots. C’était 15 ans c’est court, un programme de courts-métrages et j’en ai regardé cinq à la suite : Émilie Muller, Les Méduses, Hammam, Le Masseur et Mes fiançailles avec Hilda. J’ai arrêté parce que j’avais retrouvé mon envie de dormir mais ce que j’avais vu avait suffi pour m'éblouir. Comme à chaque fois dans ces cas-là, je m’interroge, façon de parler. Ces films n’ont rien de difficile ou de rébarbatif, il y en a même deux d’un comique extraordinaire. Pourquoi passent-ils à deux heures du matin ? Pourquoi pas dans la journée ou en soirée, avant une émission plus longue ? Ou encore mieux pourquoi ne pas les programmer pour eux-mêmes à une heure décente sans autre étiquette que leur durée en minutes comme on fait pour les films ordinaires ? Remontant me coucher, je me disais que ça ne me plaisait pas de devoir les regarder comme ça.
A mon chevet, la pile de livres que j’ai envie de lire venait juste de sub
ir un de ces remaniements périodiques rendus nécessaires par le maintien de l’espace vital et un livre qui avait disparu sous les autres est revenu à la surface : Les nouveaux chiens de garde, de Serge Halimi (Liber-Raisons d’agir, 1997). L’auteur y documente minutieusement la collusion entre les journalistes importants, les hommes politiques et les grands groupes financiers qui possèdent les médias.

Quel rapport avec ce que je viens d’écrire ? Rien ou peu de vraiment logi
que. Si le rapprochement me paraissait dès le départ évident, cela vient peut-être de ma pratique du collage dans le champ visuel. L’amalgame n’y est pas à craindre. Mais à bien y regarder, la télévision est la charnière du présent message : les bonnes places y sont gardées*.
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Voir page 74 le temps accordé aux grévistes dans une émission sur la grève de 1995

2 commentaires:

Lucien Suel a dit…

Concernant la télévision, je t'offre cette citation de Baudrillard :
"Le bon vieux jugement critique et ironique n’est plus possible. On pouvait dire pour en dénoncer la rhétorique : ça, c’est de la littérature ! On pouvait dire pour en dénoncer la mystification : ça,c’est du cinéma ! On ne peut pas dire pour dénoncer quoi que ce soit : ça, c’est de la télé ! parce qu’il n’y a plus d’univers de référence. Parce que l’illusion est morte, ou parce qu’elle est totale. Le jour où nous pourrons dire de la même façon : ça, c’est de la télé ! ça, c’est de l’information ! c’est que tout aura changé."
Jean Baudrillard « Les stratégies fatales »

jnp a dit…

Merci Lucien