J’ai horreur des camions. Quand je les vois l’un derrière l’autre sur l’autoroute je me dis qu’il aurait mieux valu la doubler par une voie ferrée et charger sur un train le conteneurs standardisés de notre modernité, à charge pour les poids lourds routiers de les dispatcher aux gares. Trop logique. Je n’ai jamais aimé avoir une auto et j’en ai encore une. Je ne reprends le train que depuis peu parce qu’il convient à mon activité du moment et l’auto sert encore localement.
Ce mardi c’est justement en auto que nous rentrons à la maison. Chaque fois que possible je rentre par le côté de la ville que la campagne jouxte encore. Une route étroite et un peu tortueuse longeant la voie ferrée et nous offrant encore les dernières pâtures verdoyantes et les derniers bas-côtés non aménagés, on ferme les yeux sur les horreurs occasionnelles, je parle moins des décharges domestiques déplacées que des haies cisaillées à bon marché par une machine aveugle offrant en réduction le spectacle écœurant des déforestations sauvages : branches arrachées ouvertes comme les membres humains après les bombes ou la bataille.
A l’abord de la ville, je dépasse en ralentissant un gros semi-remorque curieusement stationné avant l’entrée du parc d’entreprises et regardant dans le rétroviseur, je vois que le chauffeur me fait signe. Je ralentis et m’arrête devant. Il descend une liasse de papiers à la main. Il ne parle pas : ne connaît ni français ni anglais. Me montre un plan sorti d’une imprimante avec un trajet repassé au feutre entre le village voisin et le port. Les autres papiers sont en caractères cyrilliques et j’ai bien du mal à y trouver une adresse dans notre écriture : une société de transport de palettes, Z.I. des Dunes.
On décide de le guider. Me rends d’abord compte que je dois penser camion : il ne peut pas passer partout. Ensuite je réalise que je dois rouler à sa vitesse : il est loin de rivaliser avec la plupart des monstres qui se précipitent sur la rocade. Arrivés à destination de l’autre côté de la ville, on s’arrête et je pense qu’il va falloir chercher le bon numéro, mais il a ressorti ses papiers, plutôt consterné et me dit "firma !". Je les lui prends et découvre qu’à l’endroit où il mettait le pouce se trouve une autre adresse locale, en fait l’adresse de livraison, en fait le village d'où l'on vient. Il n’y a plus qu’à revenir au point de départ et trouver le hangar de stockage où il doit en fait se rendre. A l’entrée du village je lui propose, par signes, de monter dans la voiture pour chercher l’adresse et il m’a alors montré sa plaque d’immatriculation avec 'UA' et dit, je crois, qu’il était ukrainien. Nous n'étions pas loin de la bonne destination et quand je l’ai enfin ramené à son camion, il m’a, comme on dit, chaleureusement serré la main. Je suppose que je l’avais aidé, même en me trompant d’abord.
Regagnant enfin la maison, nous voyons une voiture tout juste stationnée devant. Deux femmes en descendent et en sortent de ces sacs à roulettes qui servent à faire les courses. L’une d’elle a déjà préparé le gros paquet de publicités qu’elle s’apprête à déposer chez nous et je me propose de les lui prendre, lui évitant ainsi d’avoir à traverser la rue. Merci, bonne journée.
J’ai horreur des publicités. Elles ne sont plus légitimes et ont tout envahi : rues, routes, radio, télévision, magazines, Internet, intimité et boîtes aux lettres. Est-ce que je peux en vouloir aux esclaves ? Est-ce que je peux les en accuser et ne plus leur parler ?
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