Depuis quelque temps, lorsque je me réveille au très petit matin et que je me sens incapable de me rendormir, je me lève, prends le petit déjeuner et m'occupe dans le local du garage, à du courrier ou au rangement des choses amoncelées là depuis des années, et ce jusqu'au moment où la fatigue revient, assez forte pour me donner l'envie de me remettre au lit. Cela fonctionne généralement, et même si je ne retombe souvent que dans un agréable abandon des forces, proche de l'état atteint grâce aux techniques de relaxation.
Occasion souvent de voir sans être endormi des choses les yeux fermés. Pendant une toute une période c'était comme un fourmillement de fragments de mots ou de lettres, trop instables pour être lisibles mais me faisant penser que les textes lus auparavant sur écran ou papier avaient impressionné assez durablement ma rétine et que ces restes superposés s'éteignaient ainsi lentement à la façon d'un feu. Plus récemment ce sont comme des concrétions à la limite du minéral et du biologique0, vues en relief et du dessus comme celles qui garnissent les fonds sous-marins, et comme elles à la fois immobiles et insaisissables, battant imperceptiblement dans une pénombre monochrome, genre vert ou bleu foncé – ce matin c'était rouge.
Et il me faut ici en signaler l'essentiel : ce ne sont pas des rêves dont je me souviens réveillé, mais des visions quasi réelles survenant dans un curieux état de conscience dont j'ai fait l'expérience il y a plusieurs dizaines d'années, et alors de façon éprouvante. C'était des fois où endormi d'un coup je me suis retrouvé saisi dans des hallucinations qui avaient ce même statut de perceptions conscientes, lesquelles ne concernaient pas que le sens de la vue. D'une part j'étais physiquement paralysé, d'autre part pris dans un flux qu'il me semblait pouvoir maîtriser, en ce sens que mon déplacement spatial me semblait dépendre dans une certaine mesure de ma pensée. Dans une certaine mesure parce qu'également conscient d'approcher la mort. Le réveil n'effaçait pas ce sentiment terrifiant mais j'étais forcé d'en constater l'absence de causes réelles, si ce n'est parfois une grande fatigue ou la respiration gênée du nez dans l'oreiller. Et j'ai appris un jour qu'on pouvait parler d'état hypnagogique.
Cela étant, les versions soft récentes en sont venues à m'intéresser au même titre que m'amusent les images en 3 D produites par la vision parallèle. Après l'appréhension des premières fois j'ai trouvé ces dernières extraordinairement brillantes et reposantes. Considérant donc ce matin cette image en relief et en rouge, je décidai, chose qu' on ne pourrait jamais faire dans un rêve, de voir si je pouvais par la volonté influer sur sa couleur, et en l'occurrence la faire passer du rouge au jaune, et après un effort il m'a semblé voir apparaître du doré sombre, avant que je m'endorme pour de bon. Du moins puis-je le déduire de ce qui a suivi et qui a été en fait comme la punition de ce moi trop malin, qui pensait avoir apprivoisé les bêtes de la nuit.
En résumé un mix de mes cauchemars "normaux", où je me perds et perds tout dans des architectures plus ou moins dérivées de lieux familiers - ici la maison à nouveau en travaux, et de ces hallucinations terrifiantes de naguère. Entre autres composantes caractéristiques c'est en volant paralysé au-dessus de ces marches de béton1 que je descends ou monte un escalier. Trois ou quatre fois je pense avoir réussi à m'en sortir pour me retrouver dans autre version du même, comme dans le système d'univers parallèles de ces séries télévisée regardées il y a peut-être dix ans. Au dernier plongeon je prends conscience que tout cela témoigne d'un dérèglement psychique grave, nouveau et irréversible2, que je serai cette fois-ci forcé de prendre en compte face au psychiatre que je vais consulter3. Sur quoi le moi qui ne sait pas nager fait un dernier effort pour remonter respirer à la surface et regagne enfin encore une fois les livres et la poussière, le désordre familier de la maison réelle.
Notes du lendemain 10 juillet 2011
0 À Paris la veille, vu à la Pinacothèque un de ces tableaux de Max Ernst que je ne trouve ni abstraits dans l'acception habituelle, ni surréalistes comme des Magriite, mais plutôt réalistes à la manière d'une fiction qui semble rendre compte d'une réalité étrange parce qu'inconnue
1 Même endroit même jour, dans un escalier du musée du Quai Branly, je compare la qualité des marches avec celles des escaliers extérieurs de la gare de Fréthun.
2 Dans le train, lu d'Annie Ernaux "Je ne suis pas sorti de ma nuit". Sa mère hospitalisée, déjà gravement atteinte par la maladie d'Alzheimer, dit elle-même : "Je crains que ça ne soit irréversible" (N.R.F. Gallimard 1997 pages 38-39).
3 La consultation était ophtalmologique et la spécialiste a trouvé que ma vue n'avait guère changé depuis ma visite d'il y aura bientôt cinq ans. Elle m'a même rassuré quand aux bestioles translucides que je vois nager dans mon champ visuel sous certains éclairages et principalement devant une feuille blanche de papier à dessin, quelque chose qui est d'après elle propre aux myopes. Habitué à vivre en imaginant le pire, son absence présente devrait me réjouir, mais voir me fait aussi souffrir.
0 À Paris la veille, vu à la Pinacothèque un de ces tableaux de Max Ernst que je ne trouve ni abstraits dans l'acception habituelle, ni surréalistes comme des Magriite, mais plutôt réalistes à la manière d'une fiction qui semble rendre compte d'une réalité étrange parce qu'inconnue
1 Même endroit même jour, dans un escalier du musée du Quai Branly, je compare la qualité des marches avec celles des escaliers extérieurs de la gare de Fréthun.
2 Dans le train, lu d'Annie Ernaux "Je ne suis pas sorti de ma nuit". Sa mère hospitalisée, déjà gravement atteinte par la maladie d'Alzheimer, dit elle-même : "Je crains que ça ne soit irréversible" (N.R.F. Gallimard 1997 pages 38-39).
3 La consultation était ophtalmologique et la spécialiste a trouvé que ma vue n'avait guère changé depuis ma visite d'il y aura bientôt cinq ans. Elle m'a même rassuré quand aux bestioles translucides que je vois nager dans mon champ visuel sous certains éclairages et principalement devant une feuille blanche de papier à dessin, quelque chose qui est d'après elle propre aux myopes. Habitué à vivre en imaginant le pire, son absence présente devrait me réjouir, mais voir me fait aussi souffrir.
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