Rien écrit ici depuis longtemps. Repoussée une fois encore l'envie d'extraire du Petit Larousse reçu en cadeau au Certificat d'Études Primaires toutes les façons possibles de signifier le grand départ, et faute d'avoir à dire de soi autre chose que la misère, se raccrocher, s'en rapporter aux seules traces supportables, aux morts qui parlent sans autre arrogance que leur obstination déraisonnable. Rebonjour Jacques Sternberg.
Le premier numéro de MEPRIS, sous-titrée 'la revue qui n'a strictement rien à vendre, ou à louer', date d'octobre-novembre 1973, 'Achevé d'imprimer sur les presses de l'imprimerie J-M Bardou – pour le compte des Éditions des Égraz'. 'Revue', sans doute en a-t-elle le format, mais la parodie apparaît dès la page 3. 'Direction : Jacques Sternberg / Rédaction : Jacques Sternberg / Secrétariat : Jacques Sternberg'. Sont quand même mentionnés Roland Topor pour la couverture (et pour une page), Gilles Nicoulaud pour les dessins, et pour la maquette 'le petit doigt agile d'Antoine Charpentier, aidé du pouce d'Emmanuel Hussenot'. Restait à s'interroger sur 'Kesselring éditeur '– fou, s'il en était, d'éditer pareille littérature, même en ces années 70 où la camisole s'était un instant desserrée : il est bien vivant et s'appelle Rolf et ce que nous apprend sur lui la 'Plate-forme suisse d'information' swissinfo.ch ne nous étonne en rien, même s'il s'agit maintenant d'alchimie. 6 avril 2009 : «L'écrivain – et ancien éditeur - s'est toujours passionné pour l'Histoire. Pas prioritairement celle des rois, des palais et autres champs de bataille. Plutôt celle des «grands bizarres qui ont peuplé l'Histoire», selon son expression.» Pas étonnant que Jacques Sternberg et lui se soient rencontrés.
De ce MEPRIS 1, c'est ainsi dès la première page qu'on a envie de tout citer, et d'autant plus que l'auteur (car il faut bien considérer cette revue comme une de ses œuvres, ou du moins entreprise – et quand bien même on oserait dire : de démolition) s'ingénie, en même temps qu'il nous en donne le désir, à nous mettre des bâtons dans les roues : que citer du 'Sommaire' page 5 (et 6?) auquel Nicoulaud a donné la forme d'une planche BD dont les bulles sont vides?
Maintenant, que faire d'autre ici? Peut-être, étant donné cette table des matières défaillante, essayer d'en établir une? On peut essayer. La publication annoncée comme 'parfois mensuelle' commence, avec en exergue une improbable citation de Louis Pauwels, par une sorte d'éditorial, où un curieux messager annonce que «La Revue Mépris va paraître». A partir de là des titres évoquent, plutôt que des sujets d'articles, une série de rubriques, confortant ainsi le format affiché. Quitte à l'élargir : le 'Lexique toxique' se retrouve distribué à intervalles plus ou moins réguliers dans l'ensemble, comme le sont certaines parties des almanachs. Ensuite, tout se passe comme s'il n'y avait dans le périodique en question que des rubriques secondaires et habituelles : 'Une page de détente' (dès la page 9!), 'Le conte méprisant du mois', 'De nos correspondants à l'étranger', 'Les questions de Roland Topor' («Chaque mois, avec Roland Topor, le Mépris va plus loin»), 'Les grandes rencontres', 'Le coin du furieux curieux', 'Enquête de notre temps', 'Journal littéraire' ('de Jacques Sternberg'), 'Trois minutes d'entracte publicitaire', 'Les mots croisés du Mépris', un concours («Pas de cons sans concours / pas de concours sans l'aide des cons»), 'Questionnaire' (aux nouveaux lecteurs)...
On aura deviné à la lecture de certains de ces titres que la forme revue n'est que prétexte à humour et qu'il ne s'agit que de tourner les choses en dérision. Quelles choses? Tout d'abord la chose littéraire; les écrivains, et d'autant plus qu'ils réussissent, et quel quel que soit leur genre, en prennent pour leur grade ou deviennent du fait même de leur notoriété, matière à plaisanterie. La 'page de détente' mentionnée ci-dessus est ainsi sous-titrée 'Quelques jeux littéraires' et en voici un exemple: «Calculez (à 1 cm près) dans un roman de Montherlant les dimensions d'un profond chagrin. Celles d'une haute moralité. D'une grande foi. D'une femme large d'idées. De son mari large d'esprit. Additionnez le tout et faites cuire au bain-marie.» Dans la 'grande rencontre du mois', l'auteur raconte la soirée que Françoise Mallet-Joris l'a invité « à passer [,,,] dans sa célèbre maison de papier». Et ainsi de suite : irrévérence, jeux de mots potaches, loufoquerie et absurde. Pierre Dac et Boris Vian ne sont pas loin, mais au moins trois pages sur quatre, si ce n'est pas plus, visent les livres et l'édition. MEPRIS est à sa façon une revue littéraire. En accompagnement : la société de consommation, la publicité, l'auto, en fait bel et bien la nôtre, de société. Ici et là quelques allusions à la science-fiction, qui n'est pour l'auteur qu'une autre façon d'exprimer, plutôt que sa vision du monde, ce que le monde lui fait.
Pour terminer, MEPRIS 1, tel Télérama, passe en revue des livres et des films de l'année (ou non!): «Méprisons toujours,on verra après», et leur attribue un signe. «Méritent le détour»: Paul Gadenne, 'assassiné par l'indifférence générale'; Woody Allen, qu'«on croyait médiocre cinéaste alors […]qu'il est [...] humoriste [...]»; Malcolm Lowry; Pierre Versins pour l'Encyclopédie de l'utopie et de la science-fiction; des anthologies Marabout du fantastique : Rosny, l'Amérique, l'Allemagne; Christian Bussy pour l'Anthologie du surréalisme en Belgique : «Fume et lis, c'est du belge!»; Alain Dorémieux pour ses Espaces inhabitables; Soulas et Nicoulaud pour des recueils de dessins d'humour; Le Principe de Peter; François Caradec pour La vie de Raymond Roussel; Raoul Mille; Emma Santos; Marcel Moreau : «Il ne lui manque qu'un zeste d'humour pour avoir véritablement du génie»; Boris Vian pour son Théâtre en 10/18; Belen; François Weyergans; René Garby. La «critique» cinématographique semble moins pertinente, comme si les films intéressaient moins Jacques Sternberg.
Aux dessins de Gilles Nicoulaud, reconnaissons cette qualité de ne pas illustrer, d'ouvrir d'autres portes,et surtout même s'ils tiennent d'un vocabulaire surréaliste, de ne pas porter les marques d'une quelconque charte graphique ou stylistique, et de constituer un ensemble agréablement dépareillé qu'on aurait du mal à trouver dans un ouvrage actuel.
Et justement, je crois que ce qui fait le charme et le sens de ce livre n'est pas que son contenu, dont on pourrait facilement contester le caractère exceptionnel, tout travaillé qu'il soit déjà au niveau parodie, mais son édition hors cadre et comme naturellement limitée (3 numéros). Et aujourd'hui plus que jamais nous manquent, à l'heure des surprises youtubées et des sorties mondiales de films, dans la mer des blogs et dans l'espace wifi, sous l'emprise des casques audio et sous le règne du terrorisme publicitaire, de tels objets de luxe.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire