La Zoeterwoudsesingel
( Gallimard 2006, p. 114)
* Projet d'art postal en cours : merci d'y participer. Envois reçus : ici.
Marcel Béalu : L'av. impersonnelle (2)
Marcel Béalu : L'aventure impersonnelle...
Où sommes-nous? Au Petit Capharnaüm lit-on sur le linteau. De loin en loin, courte clarté sur la nuque, un œil lumineux pend du plafond. Au commandement craché par un haut-parleur invisible: En avant, stop! en avant, stop! la foule nue se presse, anonyme troupeau où nul ne saurait reconnaître un visage. Prends place dans ses rangs, moribond prêt à céder pour n'importe quel prix ton mauvais quart d'heure. La marée humaine remplit les galeries en une galopade effrénée d'ombres claires. Depuis longtemps elle se serait dissoute aux tournants si ne l'augmentait de nouvelles unités surgies de mystérieux couloirs. Au long des des murs de faïence, tragique est la solitude de ces hâves silhouettes avant que s'ouvre pour les engloutir la cohorte informe condamnée au commun diktat: En avant, stop! en avant, stop! Chairs sèches claquant avec des détonations de linge mouillé, sauterelles empêtrées de miel qu'un ultime ressort fait bondir - vite, toujours plus vite - tels en la grouillante pauvreté du limon vous voici, flammes blondes, corps élus! Ivoires meurtris ombrés de poils, trois fois éclaboussés de nuit. Les petits cerveaux moteurs fonctionnent toujours au sommet, tournoyantes toupies que maintient en mouvement le fouet glacial de la peur. Montez! Descendez! Au trot! Au galop! En avant, stop! en avant, stop! Troupe honteuse soudain disparue comme aspirée, resurgissant pour s'entasser dans les wagons ferraillant d'un chemin de fer de cauchemar, en ressortir de plus en plus affolée, osciller un instant, s'élancer, puis brusquement freinée s'élever immobile comme au creux d'une paume gigantesque qui la lancera vers de nouveaux couloirs, de nouveaux escaliers. Vite, toujours plus vite. au commandement mécanique une lueur apparaît dans le regard de ces damnés, reflet sans doute de l'infime chaleur qui réside encore dans leur cervelle avec la conscience du temps et du lieu. Mais rapidement retombe cette clarté dernière. Un sang de plus en plus épais frappe à l'intérieur des poitrines, halètement qui se confond à la multiple succion des pieds nus sur la pierre, en un chuintement pareil à un souffle de bête. Ce lèchement comme sourdant du sol monte, s'éloigne, revient, rauque et impératif, enflant jusqu'à s'identifier au murmure automatique jailli des parois de la nuit : En avant, stop! en avant, stop! Je ne me demande plus si persiste hors de moi, loin de ce tourbillon qui m'emporte, résidu terrestre, clameur d'espoir, la prescience de quelque chose qui ressemblerait à ce qu'hier encore j'appelais indépendance. Empilé avec les autres dans le plateau de la balance, j'attends l'heure de la justice sans toge et sans lorgnon, la justice à face de béton. Fidibus, qui êtes-vous? Vous n'êtes pas Fidibus, vous n'êtes pas représentant! Qui êtes-vous? Dans cette nuit grouillant de corps violacés, noircis, dans cette mêlée de nègres nus sur laquelle souffle le vent, inutile de te draper de blanc pour jouer à l'existence, de simuler l'important dans les plis d'un linceul. Tu n'es pas plus que ceux dont la peau noire se confond aux ténèbres. Un à un seront balayés ces lambeaux auxquels s'agrippent encore avec dignité des membres invisibles.
(tiré, pages 73 à 75, du premier texte du recueil, daté 1945-1949)

Marcel Béalu :
L'AVENTURE IMPERSONNELLE
et autres contes fantastiques
Bibliothèque Marabout Géant
66/N° 38
Les dernières extrémités
Mais c'est là que le temps se gâte. Là que le temps reprend son cours, reprend l'esclave trop rêveur, rembarque roulottes et baraques. Que reste-t-il de l'événement à recopier, du chapitre déjà écrit, du poème de l'instant présent? Le passé immédiat ratatiné derrière il ne te reste qu'à falsifier ta monnaie de singe, qu'à décréter d'actualité les mots jetés sur le cahier du soir, qu'à fabriquer en connaissance de cause ce faux en écriture. Dépêche-toi l'hiver arrive, on veut dire le mental : perturbations sur l'autoroute nerveuse et épuisement des âmes, quand toi tu traînes devant l'horizon rapproché, regardant retardant le moment de dire comme si vraiment tu jouissais des préambules. Comme si tu avais la flemme ou la peur, de figurer.
Le problème n'est pas de trouver ses mots, mais de trouver lesquels changer. Pour commencer jour de défaite ce jour-là. Une nouvelle du front a bouleversé le monde du planton de réserve. Planètes et étoiles ne sont plus celles qu'il croit, voici qu'il doit refaire la cartographie du ciel, avec plutôt envie de se laisser tomber de se laisser aller aux attractions terrestres, de couper le contact du réacteur individuel. Justement heureusement requis réquisitionné au titre de taxi, voilà le quidam passé au pays voisin, lieu incertain et sûr, tout à la fois familier et inattendu. Les corvées finies il sort faire trois courses à la supérette de proximité, symptomatiquement ainsi : pareille et différente. Ce qu'il lui faut pour continuer.
Deux jeunes femmes officient aux caisses, dont l'une d'elles déjà vue au voyage précédent, qui lui fait signe de passer chez elle. Il paie comme toujours en argent dit liquide, regarnissant régulièrement portefeuille et porte-monnaie. Ce dernier intéresse : Je vois que vous en avez, si vous pouviez me payer avec vos petites pièces rouges, ça m'arrangerait bien. La transaction achevée il constate qu'il lui en reste encore et il les lui propose en échange d'une jaune. Cela fait visiblement grand plaisir, comme une faveur accordée, c'est gentil à vous.
C'est au moment suivant que le magasin autour passe au second plan : les clients qui attendent décolorés par l'interposition d'un papier calque, le temps anesthésié comme le temps de changer les piles ou d'opérer à mots couverts, la bande-son en panne. Dans le train en suspens se produit en effet un échange imprévu : le touriste précédemment dépité maintenant détenteur d'un trésor inappréciable offert dans sa paume ouverte, les doigts de la caissière trop longuement perçus y font comme de l'eau fraîche, comme cadeau contre cadeau.
Quand le film redémarre, le malade imaginaire encore abasourdi passe en revue les diagnostics possibles. Interprète-t-il à son idée des convenances étrangères infinitésimalement différentes, un contact inexistant ici et normal là? A-t-il été lui-même anormalement sensible à une présence de l'autre? A-t-il passé un court instant dans ce qui serait la commune expérience qui lui échappe depuis toujours? A-t-il halluciné tout seul rêvé éveillé dormi debout? Attache-t-il trop d'importance à des choses sans valeur, du genre nuage ou arc-en-ciel, buée et givre, accessoires accessoires?
Il reste des phrases inutilisées. Pardonnez-leur. Elles se rendent pas compte. Je n'est qu'un chien.
Le paysage
Encore une fois penser yeux mentalement roulés derrière les paupières baissées Yeux fermés encore une fois chercher les bribes de ce qui a failli venir au jour Encore une fois répondre aux supposées questions que personne ne pose Sinon rien dire Se taire terré dans les statues des jardineries Dans les pelouses rigoureusement tondues des pavillons modèles Dans les rocades cautérisées du week-end permanent Dans la mondiale agitation brownienne ressusciter la très petite vitesse du départ manqué
Un plan pour parer au pire Pour tromper l’aphasie gagnante
Tout d’abord, tout d’abord invisible sous l’insondable profondeur du ciel et comme naturellement cerné d’un horizon sonore, batteuses au loin et coqs à peine plus proches, chaleur et rosée. Plongé vivant dans l’implacable été, être au milieu voyant comme les insectes toutes les facettes du spectre végétal, être léger et lourd dans l’herbe et la terre encore humides des pleurs de la nuit, imaginer le monde comme un livre à lire, comme un moulin banal, comme à boire et manger.
Dans le ciel, l’après-midi parfois, frayeurs étranges d’une guerre finie, si finie et si proche qu’il en sera encore parlé des années durant dans l’atelier paternel, parlé jusqu’au ressassement, dis papa, dis la guerre – effacée elle était sauf donc dans le ciel bleu l’étrange silhouette d’avions invisibles, intermittence extra-terrestre aussi terrifiante qu’attirante. Dans la cour de l’école aussi, les garçons courant bras écartés miment, de quel savoir, les aéronefs armés. Ici et là la terre miséricordieuse recouvre d’elle-même les aviateurs perdus.
Première maison, premier jardin. Mouches à l’étage, eau dans la cave, cinq enfants. Déménager en fera bonheur. La deuxième est habitation et le paysage désormais extérieur. La façade nord impose le seul qui soit, unique et irréparable référence qui renverra à jamais au rang des fantaisies tous les reliefs possibles : entre le remue-ménage terrible de la mer et le mystère inaccessible des collines du sud, cette ligne droite au loin, ces champs immensément plats, support définitif ici et là gratté de signes élémentaires : saules étêtés, clochers et poteaux, watergangs et roseaux. L’idéal devait s’y écrire, s’y peindre et s’y éteindre.
Bateaux de bois massif creusés à la gouge, chariots agricoles miniatures, avions girouettes au gouvernail efficace et à l’hélice consciencieusement sculptée, les mouvements réduits des fabrications domestiques prolongent l’enfance entre l’eau du fossé, le sol de la basse-cour et le toit du hangar. Dans le même temps, aussi insensiblement qu’irrémédiablement, une vitre s’interpose et s’épaissit, un boulet et une chaîne limitent pas et gestes, pourtant tirés de cela même qui aurait dû propulser : l’alliage des rires et des musiques, des vêtements et des corps. Terreurs et malédictions barreront les routes.
C’est une sorte de prisonnier en permission perpétuelle qui voit désormais les choses, tout suspendu dans l’air comme les lots inaccessibles de la loterie foraine. Les excursions en chemin de fer et autocars font miroiter derrière le sécurit une volée de cartes postales. Londres à onze ans et son goût de grande ville. Instants de liberté matin et soir dans les rues. Les Ardennes en train spécial, grottes et lucioles jamais revues. Paris les émois, le déconcertant palais des découvertes, les audaces balayées. Paris les musées, fenêtre et parade, vertige et paralysie. Espagne et Portugal, les mâchoires se referment, tout le soleil n'est que mensonge, que décors trompeurs, les tropiques, de la géographie. Massif Central et Lourdes, le touriste pèlerin devient la proie des apparitions mais le réel le cerne. Loir-et-Cher les démons le possèdent, tout lui échappe, jusqu'aux cyclamens narquois du parc du château. Var, Alès, Queyras, Allemagne, errances à la petite semaine. La case départ le récupère. Il y perd les pédales.
La ville de l'adresse continue de se détruire. Y habiter ne représente rien. Tout au plus surgit-il parfois l'idée d'une archéologie d'urgence, plutôt désespérée. Du travail humain ne subsistent que des lambeaux, que des miettes bientôt nettoyées. Pans de mur, portes, soupiraux, façades en panne de ravalement, inscriptions périmées, les formes vivantes se raréfient. De paysage urbain, guère. Quant au flamand, s'il est aussi en passe de recouvrement ou d'effacement, un déplacement à l'est le fait quand même réapparaître ici et là de part et d'autre de l'autoroute. Ainsi ces fermes et ces maisons, aux bâtiments divers appuyés les uns contre les autres dont aucun architecte ne recréera jamais l'harmonie économique, toits inégaux entourés de haies et d'arbres, îlots sereins dans le vent de Brel. Ainsi la terre, ainsi les ciels de Bruno Dumont. Ainsi il y a une semaine en plein milieu de Gand cette maison pas bien d'équerre et ses murs blancs peints en noir en bas. La frontière comme ressource.
Cependant, un double atrabilaire referme le journal du cabotin caboteur. Volets clos et lampes mélancoliques, que le soleil s'occupe de la jeunesse du monde! Dans le local où les barreaux rendent hommage à Albertine, des dioramas fantômes mettent en scène les fétiches personnels. Les sédiments du bac anachronique sont constitués d'assez d'images pour en tirer une frise démoralisante : celles du dessus suffisent aux deux tableaux de la séance récréative et leur déchiffrement ne demande pas trop d'efforts, il faut seulement serrer les dents.
Le premier représente les vallons de l'ouest, Boulonnais et Artois plutôt flous. C'est le petit matin et un homme en fuite s'est réfugié dans les brocantes. Quand deux jeunes filles se mettent à rire en le voyant, il croit qu'elles se moquent. Mais il n'en aura aucune preuve, au contraire. L'une d'elles est brune et très belle et un garçon les accompagne. Le trio réapparaîtra de nombreuses fois dans les mêmes circonstances : ce sera à chaque fois bonjour et de francs sourires, au point que l'homme en viendra à les attendre, jusque dans les Flandres où leurs chemins les menaient parfois aussi. Mais ce n'est pour lui que le temps ne passe pas et, comme pour confirmer les seuls dires qu'il ait jamais entendus à leur sujet, à savoir qu'ils appartenaient à une famille de gitans, la jolie brune et ses deux compagnons ont fini par disparaître, du paysage.
La deuxième fiction s'y rapporte à peine : elle n'y tient que par un pont qui correspond au nom du lieu et qui franchit une jonction ferroviaire pour ensuite redescendre sous un second où passe l'autoroute, cisaillement urbain à deux pas du domicile. Sur la rampe, comme on l'appelle ici, une jeune femme, sa mère et sa fille. Elles y passent et repassent jusqu'à en faire partie pour les voyeurs automobiles mais descendre de la voiture bloquera à tout jamais la lanterne magique.
Dans les boîtes en carton, derrière la paroi transparente des théâtricules portables, les figurines attendent de même qu'on les touche pour tomber en poussière et les plans racornis découpent le vide à la Magritte. Dans le jardin ensoleillé, les insectes s'affairent comme si de rien n'était.
Jean-Noël Potte, été 2007
Pablo Picasso mai 1968
8x8 in Nada-Zéro 65

Un des collages multiples envoyés à Christian Alle pour sa revue Nada-Zéro.
Chaque participant envoie un nombre déterminé d'œuvres puis reçoit une revue qui a cela de particulier qu'elle comprend un exemplaire de chacun des collages originaux ou autres multiples à petit tirage qui ont été envoyés.
Poème-minute
Tu crains qu'il soit toi
Enfermé dans la peur
Tu as peur qu'il soit seul
Dans la joie des autres
Tu crains qu'il ait mal
Dans la force de vivre
Tu as peur qu'il échoue
Au seuil de la maison
Tu as peur qu'il soit dur
Effrayé par les bras
Qui lui prennent le cou
Tu te retrouves lui
Dans d'anciennes histoires
Un couteau échevelle
Parentés et liaisons
Le temps débloque
jnp
le lundi 3 septembre 2007
En ce moment précis (Dino Buzatti)
J'avais inscrit Dino Buzatti dans mes Phares et balises. Pour Le Désert des Tartares bien sûr. Pour Le K, recueil lu des années plus tard. J'ai récemment eu l'occasion d'acheter En ce moment précis. Dès le début j'ai senti que mon intérêt n'avait pas changé, que ce n'était pas un de ces livres que je désire avoir et lire que j'abandonne en plein milieu pour un autre, mais le vrai compagnon du soir, des attentes obligées et des temps difficiles. J'étais à la fois heureux et perplexe. Et en fait, si j'ai, depuis la publication de cette liste, trouvé quelques noms que j'y ajouterai un jour, je n'ai pas encore jamais eu envie d'en supprimer.
Curieux que le lien qui m'attache à des œuvres soit si sûr, si peu changeant, sinon dans une perception tant soit peu élargie, en ce sens que des écrivains, le plus souvent disparus, m'apparaissent maintenant comme des personnes, et que je ressens comme une envie de les connaître, plus qu'autrefois où les textes seuls imposaient leur évidence, leur propre existence d'objets. Cela reste, mais l'auteur m'intrigue et m'attire, en même temps que je cherche à comprendre comment et pourquoi, et que je tente d'établir des correspondances avec mes autres fréquentations littéraires. Non pas que je prenne arbitrairement des distances pour observer, mais parce que le texte lui-même est ainsi conçu qu'il induit une lecture heureusement inquiète.
Je me suis cette fois-ci aussi posé la question de la poule et de l'œuf. En l'occurrence au sujet de cette correspondance entre un écrivain et son lecteur : Dino Buzatti répondait-il au départ à des composantes personnelles, à des préoccupations qui m'habitaient d'avance, ou bien a-t-il, par le biais de l'art, insinué en moi une certaine vision du monde et contribué à former mes choix ou mes penchants, tant en pensée qu'en expression? Probablement une fausse question. Toujours est-il qu'après avoir publié l'image du livre, sa lecture me donnait envie de tout citer ou presque… Cependant, j'ai continué à lire, et comme j'ai dit plus haut, lisant et cherchant.
Si le temps est le thème récurrent des textes courts – d'une demi-page à quelques pages- de En ce moment précis, ce n'est pas étonnant s'agissant de l'auteur du Désert des Tartares, ni très original : il est clair que l'écrivain considère que sa vie va finir, et qu'il vieillit. Si ce n'est peut-être une façon de s'adresser aux jeunes où la colère et l'envie se dissimulent moins qu'il n'est ordinairement admis. Sinon il ne s'agit à première vue que de l'expression d'un éventail de sentiments qui vont de la nostalgie au désespoir et qu'on peut imaginer provoqués par la solitude, la condition humaine ou une disposition psychologique particulière. Cela étant, et même si j'en suis d'abord ému ou séduit, c'est autre chose qui me fait aimer.
Cela vient d'abord de la forme courte, qui permet de jeter et de reprendre les données existentielles pour à chaque fois en tirer une solution aléatoire, sachant que dans l'univers fantastique - qui n'est sans doute rien d'autre que celui de la pensée – les processus temporels peuvent être accélérés ou ralentis, inversés ou répétés. Le moment précis serait celui de la conscience imaginant, c'est-à-dire faisant image, faisant fiction : façonnant. Cette façon de reprendre trouble et brouille discours et interprétations et témoigne avant tout d'une énergie présente jusqu'à la fin à l'œuvre. De même à l'intérieur de chaque texte, le point de vue ou l'hypothèse qui fait un sort aux conceptions courantes est aussi l'occasion de motifs que je suppose, ne connaissant pas l'italien, assez forts pour avoir traversé la traduction : progressions, répétitions, retournements et autres suspens (pas suspense!). Le récit de Dino Buzatti est une musique qui nous atteint en deçà, au-delà ou en surcroît de la compréhension.
L'image qui m'est venue pour caractériser cette forme est celle de ces petits dessins animés qu'on ne voit jamais ailleurs que dans des manifestations ou émissions dédiées au format court, où les auteurs arrivent à nous toucher profondément en un temps réduit et réussissent parfois à établir des ponts entre le trivial et le philosophique avec des moyens simples. Pour ne pas parler de poésie et sans compter que l'humour qui se découvre ici et là est sans doute caché ailleurs : noir comme il se doit. Mais le format apparaît bien ici comme une dimension essentielle de la production littéraire.
Je n'ai pas fini le livre – pas fini d'être étonné.
Il était naturel
Positivez
Positivez qu’ils disent
Prenez les choses du bon côté
Vous voyez tout en noir
Ce n’est pas la réalité
C’est la conscience que vous en avez
Ils sont gentils
Avant c’était
Foncez
Ayez du courage
Soyez un homme
Nom d’un chien
Et le mollusque
De rouler sa bosse
De faire semblant
De grimacer comme un sourire
Une vie sans parole
jnp (2000-2005 ?)
Jacques Sternberg : La Banlieue

Bibliothèque excentrique
Marabout 1976
Couverture illustrée par Gourmelin
Sur Jacques Sternberg, lire dans
La Nouvelle Revue Moderne
du printemps 2007 (n° 19) :
Un bricoleur dans l'impossible de Phil Fax,
Mon frère ce ludion
de Walter Lewino et la
bibliographie établie par
Éric Dejaeger.
Avis aux lecteurs : rien à voir avec les banlieues dernièrement médiatisées. Cette banlieue, mentale s'il en est, est malgré tout liée à une ancienne image de la ville, quasi effacée aujourd'hui, au même titre que celle du terrain vague. Je ne l'ai pas fait exprès, mais ce n'est pas un hasard si on arrive au nom de la maison d'édition d'Éric Losfeld dont je recevais les publicités dans les années soixante. Je me souviens , entre autres, de la couverture de Toi ma nuit, autre livre de Jacques Sternberg.
Pour dire aussi qu'il ne s'agit ici que de choses qui me sont passées par la tête, et non d'une étude. De l'ordre donc des connexions personnelles plus ou moins actuelles. À un moment donné, l'auteur ayant d'abord décrit cet univers parallèle comme une juxtaposition de cellules, chambres, bureaux et autres pièces qui ont pour particularité de disposer de portes s'ouvrant sur d'autres dont la destination est toujours imprévisible et de toujours servir de corridors, les gens de passage déstabilisant ainsi le lieu lui-même, le héros en vient cependant à considérer cet univers comme l'ombre du monde qu'il a quitté, pour ne pas dire le nôtre et sa supposée réalité. Il faut dire que les curieux banlieusards y semblent mimer la vraie vie, poussant simplement à la limite l'inutilité, l'inversibilité, la vacuité etc., de l'activité humaine, comme dégagés de toute implication logique ou économique, comme sur la piste d'un jeu de société où même la règle aurait été réduite à son son plus simple simulacre.
Il m'est alors venu l'idée d'appliquer la description à Internet et à ses blogs. Ne suis-je pas dans une case où tout le monde peut passer, ne puis-je pas y jouer tous les rôles sans que cela prête à conséquence? Ne me suffit-il pas de cliquer sur un bouton pour passer dans le blog à côté sans savoir ce que je vais y trouver? Ne sommes-nous pas seuls, même à l'instar des habitants du livre avec comme une lumière dans le regard? Ne sommes-nous pas de l'autre côté, ou au mieux laissés en plan? Ou bien était-ce déjà ainsi au temps du livre?
Si Jacques Sternberg retourne ensuite la problématique, cela n'arrange rien, bien au contraire.
Comme je le fais assez souvent, j'ai noté à la fin du livre des noms qui me venaient à l'esprit pendant la lecture. Là aussi mes connexions à moi, et d'intérêt souvent local; dans le cas présent : Mandiargues, Béalu, Delvaux (Paul et André), Chirico, Escher, Kafka, Robbe-Grillet, Sarraute. Et ce n'est que tout à l'heure que j'ai pensé à Vian : j'ai tapé "vian / pékin / autobus / désert" dans le moteur et je suis bien retombé où je voulais revenir. Henri écrit le 23 septembre 2004, à propos de L'automne à Pékin :
Étonnant récit de la vie en Exopotamie, un curieux désert où l’on arrive par l’autobus 975 (qui dessert la banlieue).
Citation sous Creative Commons
Son père
Son père avait ceci pour idéal : se retirer. Jamais il n’eut rien d’offrant. Il était prudent, très prudent, d’humeur égale et triste. Il s’effaçait parfois comme une tache. Il avait aussi de de ces énervements terribles, douloureux, et extrêmement rares comme en ont les éléphants lorsque, quittant une tranquillité qui leur a coûté des années de surveillance, ils s’abandonnent à la colère pour une bagatelle.
Henri Michaux, Plume, Gallimard nrf 1957, p. 109 (Histoire de A.)
C'est un désert
C’est que la chair manque au récit
Le temps n’a pas redémarré
Carroll Lewis c’est des histoires
C’est un far-west sans un cow-boy
C’est que les hommes à noyau
N’ont pas passé l’Océan A
Quel cheval danse dans l’étable
Quel fou écrit dans la carrée
Fin de partie tout à la trappe
Romans-photos et abécés
Journal de bord dernière strophe
C’est un pardon sans le radeau
Elle a sombré l’île au trésor
Art postal : Déjà daté
(Projet : ici)
Âm Lepiq sept. 1988; 1975; 1933; 1996; 1955
Anne-Hélène Davin 28 juillet 2007
Balu d'Art 29.4.42
BATTISTELLA ELISA 23-01-2007
BFM Saturday, September 21, 2002
BOMMEL MATHILDE 13 JUIN 2004
BroC 1er février 2006
Bruno Sourdin 17 AOUT 2007
buZ blurr 05.05.98
Catherine Pélabon DIMANCHE 1er JUILLET 2007
Clemente Padin 1928-1997
Christine Tarantino January 2002
Constantin Răducan ?
C. Rizzuto 25 JUN 07
Daniel DALIGAND 5 NOVE 1890
deb -7 12 85 ; 14-12 1998 ; 21.12.2005; 9-11 1965
Denis Charmot 17.07.07
Diane Bertrand 16 MAY 2007
Eberhard Janke 4.9.1999 – 9.1.2000
Ellipsisigh JANUARY 28, 1997
Élodie GUENIN Vendredi 26 janvier 2007
ERGON Juin/juillet 2004
Éric Bensidon 03-04-07 ; 12 mars 2007 ; 13 VI 2007
Éric Coraboeuf 1997, 1er mai 1928, April 24, 1937
Esteban Chantal le 6 Octobre 1862
Flora Răducan 30.06.07
Fraenz Frisch 29 -1 2007
Gastão de Magalhães Julho 1932
Gilia Montanella 20 aprile
Isabelle DERMIEN 10.03.93; 28.06.07
Isabelle Vannobel / number IV 7 septembre 1939 ; oct 2006-juin 2007; 16/06/2007; 13 VI 2005; 1945... 199; JEUDI 28 JUIN 2007; 10-07-2007
Johannes J. Musolf 5-8-08, 27.9.09., 8.3.21.; 1894 November 18; JUNE 16 th 1904; DONNERSTAG, 05. JULI 2007; 14.02.98; 18. & 19. Mai 2007
Jo.Anne Hill rare earth APR 15 1958
Jolien Meiberg 03-06-2007
Judith Skolnick 06/9/2007
Juliette Mouche-Moulin 16.04.07
Kat van Trollebol Samedi 25 Octobre 1902; 10 XI * 1941
LA POSTE 21809 4 -8-83; 25 7 69
lafeeclochette 30 mai 10 juin 2007
Lizsticks 27-12-06 ; 28-10-1962
Lorre Smith 52
Lothar Trott 15. September 2007
Lourdes Mondejar 08-FEBR-2007; JUEVES 13 DE JUNIO DE 1985
Mailarta May 1971
Marie-Bernadette Dupont 21-4-79
MART 1875
Maxi Boyd Friday, April 13, 2007
Mercury October 1951
Mete Sarabi 1886; December 1944 ; 1953; August, 1942; March 17, 1928
Miguel Jiménez 9 ABR 2007
Misses Ka. 04.07.07
Nadia Matteuzzi 25 06 07
Nicole Eippers 15 septembre 1984 ; Dimanche 21 janvier 2007 ; 3/18-VIII-1957 ; 21 avril 2007 ; VSD 28, 29 et 30 Avril 2007; 1930 3 MAI - 1 NOVEMBRE
Nocturnal Studio 20AUG2007
PARKER 9 06
Pascal Lenoir 31 JUL 2002
R.F. Côté le lundi 20 novembre 2006 ; JUL 1 1930 ; 2007-04-30 ; JUN 12 2007; 21 avril 1926; MERCREDI 18 JUILLET 2007, 27 Juil. 2007, 10-08-07
Renée Wagemans 02/03/2007
Roland Halbritter 1895; 4. Mai 1948; 1883; 20 - 3 2005; 13 10 06; 26; 1889; 13 X 16
Servane Morel 23-24 MAI 1992
SUMITA CHAUCHAN Sunday, June 3, 2007; SATURDAY, 21 JULY 2007
SUSLEE IBRAHIM 6 JUL 07
Sydney Tome 23/06/2007; Novembro 2006
Sylvie Gallet le 14/05/2007; 02/04/07; 30-03-07; 25 - 04 - 07
Thierry Nain 2006/2007
Timothy M. Siracusa January 2002
Valérie Céravolo 20-12 1994 ; le 02/10/2005 ; 03/06
Vincent Courtois 27/07
William Philyaw June 1957; JULY 1918
Wonderjane 1970
D'un côté le jardin
D’un côté le jardin : appel des plantes, coups de pouce et coups de freins, pichenettes en un rien résorbées par l’incontrôlable circulation des sèves, juste un temps à côté, saisonnier parallèle plus ou moins debout, plutôt courbé ou à genoux, puis sombrer pour toujours dans la terre rassurante.
D’un côté la folie : ce besoin, cette envie encore et toujours de repartir à contresens, de refaire le pas de trop, de s’atteler sans raison valable à une chimère naturellement rhabillée de nouveaux oripeaux, de quitter comme les bêtes de Marcel Aymé l’étroite étable des conditions natales, de franchir enfin le bleu du seuil, et quand bien même la porte battante, tel le leurre clignotant des néons forains, telle la buée significative des mots tirés au sort, ne serait qu’un saut de page.
Entre deux la fièvre et la fébrilité, l’abattement et l’inertie, le train sans arrêt. D’abord chercher, collectionner et accumuler les choses, faire remparts de cartons remplis, surtout boucher les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux. Dans la maison de La peur, écrire l’horreur qui malgré tout s’infiltre, les images polarisées qui déforment le rapport aux autres, les imaginaires débuts d’aventures, les histoires sans corps et les rêves mortifères. Faire des proclamations sans suite, tomber de haut et se réveiller vieux. Se saouler une dernière fois d’activités tous azimuts, affronter au-dehors le néant qui s’approche, aller jusqu’à tricher, jusqu’à faire semblant, jusqu’à se perdre dans un rôle ou un autre, jusqu’à soi-même se croire une fois intégré au groupe, enfin inaperçu, sans marque ni signe rédhibitoire, enfin branché sur le réseau, enfin compris dans le total.
Surtout fuir l’échéance : ni créer ni écrire, ni dessiner ni peindre. Dans la soupente du garage, la fenêtre de toit éclaire rarement l’installation magique. Un petit bureau en bois et une chaise en tube ont jusqu’ici exorcisé les démons intimes. Le lit voisin est incongru. Le monde est plein de pièges.
Une rivière dans la ville
entre passé... vitesse obligatoire pandémie automobile cancérigènes rentables béton des pauvres croissance des portefeuilles bon marché soi disant camions jour et nuit avions voleurs abonnements en embuscades promotions mon œil hyper je m'y perds arnaque du téléphone terrorisme en petites lettres additifs et émanations économie intégriste pesticides à retardement objectif lune ...coule une rivière: | et avenir... temps de rire transports en commun séduisants principe de précaution vêtements durables rémunération du travail manuel limitation du produit financier parkings à vélos gardés voies fluviales et ferrées coopération prix nets droit de répondre aux réclames service communautaire emballages taxés eau et air pur à volonté commerce humain recherches en douceur respect des sources à Verviers c'est la Vesdre |
Bruno Colet pour l'association Vesdre Avenir à Verviers
(Belgique = Europe = Terre = chez nous)
Nous ne nous
Nous ne nous sommes Des photos des images L'incompréhension Les carcans qui tuent Quelle planète Quelle lumière Quel est le fardeau Le prix à payer Est-il possible De gommer ses pas Où changer d'erreur Dans le grand dégât Du ne pas vouloir Abandonné transi | jamais rencontrés la folie solitaire la peur du coupable jusqu'au goût de vivre que votre autre-là passés les barreaux la longueur de chaîne du côté de l'homme de rebrousser route l'Y est loin nul pardon ne persiste du soir arrivÉ se voir au déserT à l'impossible étÉ |
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Quatre films
David Lynch fait partie des réalisateurs qui m’intéressent absolument : je suis prêt à voir tout ce qu’ils ont produit. Parfois je suis déçu par tel ou tel de leurs films. Ce fut le cas pour Inland Empire. Peut-être que j’attendais trop un autre Mulholland Drive. Mais mon intérêt pour l’auteur n’en a en rien été atteint. Il m’arrive aussi d’aller voir d’autres films : pour le genre ou pour une critique que j’ai lue – plus rarement pour un acteur ou une actrice, ou par curiosité.
C’est ainsi que j’ai vu Bug. J’ai pensé à un moment donné que son brio allait compenser le manque ressenti au spectacle précédent mais les choses se sont peu à peu gâchées. Peut-être l’aurais-je moins mal pris si j’avais su dès le départ que c’était un film d’horreur – mais je n’aime pas non plus trop en savoir d’avance. C’est de même que j’ai ensuite vu Anna M. : pas vraiment décidé. Comme dans le film précédent une technique et un jeu d’acteur irréprochables m’ont malgré tout tenu en haleine, pour m’amener décontenancé aux dernières images. Dans ces deux films, si réalisation et "histoire" correspondent parfaitement à ce qu’on est supposé attendre du cinéma : rythme, cohérence, intensité, c’en est trop pour ma part. Je me sens à la fin comme écrasé ou jeté à la rue.
Le quatre-quarts va pourtant lever. Jacques Rivette me fascine depuis Céline et Julie vont en bateau. Va savoir aura été à la hauteur, même à la télévision. Et si le dénouement tient de l’escamotage : "Qu’est-ce que vous êtes allés penser ? Tout va bien, entre nous !", il n’empêche que son train fantôme m’a mené de surprise en surprise deux heures et demie durant.
Résultat : mes fidélités n’ont pas changé. Je cherche à comprendre un rapprochement conjoncturel qui ne va pas de soi. Reprenons néanmoins les films un et quatre. Tous les deux recèlent une fiction enchâssée, non pas selon le mode du flash-back mais tissée dans le temps comme ces romans qui nous habitent ou qu’on croit écrire, et dont des bribes surgissent en plein quotidien. Est-ce sur le plan du travail, ou du style, qu’il faut alors opposer la légèreté partout évoquée de l’un à la désinvolture ici et là reprochée à l’autre ? La pesanteur narrative des films deux et trois a en fait relativisé ma déception initiale. Chacun à leur façon, trop ou pas assez, David Lynch et Jacques Rivette racontent en esquivant les pièges, approchant ou exposant le pire tout en laissant paraître la mise en scène foraine ou théâtrale, nous forçant à regarder en nous les intrigues et les drames dont ils ne nous ont pas délivrés.
Trop belle la chute. J’avais aussi pensé parler d’univers que j’ai plaisir à retrouver et trouve maintenant plus simple d’employer provisoirement le mot vocabulaires, d’aucuns y verront des tics ou des manies, moi non. Pacotille ou monnaie, leur valeur est peut-être ailleurs. Éclairages, tentures, personnages inquiétants pour l’un, chasse au trésor, ville fétiche et jeu d’équipe pour l’autre, l’amateur y retrouve son compte, voire s’y raccroche…
Quant aux acteurs, les ayant longtemps confondus avec l’image idéale qui les représente souvent, ou bien autrement enviés que les réalisateurs, l’intérêt que je leur porte est relativement récent. Ceux que j’aime ont les mêmes vertus que mes cinéastes préférés : mystérieux et ouverts, présents et ailleurs, et ont comme eux un grain : de folie bien sûr, jouée il importe, mais aussi au même titre qu’un papier ou une peau. Mon dernier béguin : Emmanuelle Devos. Ici, Jeanne Balibar a commencé à m’intriguer.